Opérations d’apport avec soulte : la soulte doit poursuivre une finalité particulière qui n’est pas l’appréhension de liquidités en franchise d’impôt
En matière de plus-value mobilière dégagée à l’occasion d’une opération d’apport, il est possible de placer la plus-value en report d’imposition sous certaines conditions. Dès lors que l’apport est accompagné du versement d’une soulte, il reste soumis à imposition lorsque le montant de la soulte reçue excède 10% de la valeur nominale des titres reçus. Une application littérale du texte conduit donc à faire bénéficier du report à l’intégralité de l’apport dès lors que la soulte versée n’excède pas 10%.
Pour autant, le tribunal administratif de Paris est venu apporter une précision intéressante sur ce type de dossiers :
L’associée unique d’une société A en apporte les titres à une nouvelle société, B, constituée pour l’occasion. Cette opération d’apport entraîne l’apparition d’une soulte d’un montant de 500k€, soit 7% de la valeur nominale des titres reçus. En théorie, l’associée unique respectait donc à la lettre l’article lui permettant de bénéficier d’un report intégral de plus-value.
Suite à un contrôle sur pièces, l’administration fiscale vient à considérer que la soulte versée constitue un abus de droit car elle ne poursuit aucune autre finalité particulière que celle de permettre à l’associée d’appréhender des sommes en franchise d’impôt. L’affaire est portée devant le Comité de l’abus de droit fiscal qui se range derrière l’administration en considérant qu’il incombe à l’associée d’établir que les opérations établies ne sont pas constitutives d’un abus de droit, ce qui ne ressortait pas des éléments du dossier.
En l’espèce, l’associée avait reçu :
65.751 titres pour une valeur globale de 6.575.100 euros,
494.900 euros de soulte, inscrite au crédit de son compte courant d’associée dans la société bénéficiaire de l’apport.
L’administration fiscale considère que la soulte ne répond à aucune motivation d’ordre juridique, économique ou patrimoniale et qu’elle n’avait notamment pas pour objectif de rééquilibrer les participations dans la bénéficiaire puisqu’il n’y avait qu’une seule associée dans cette société. L’administration considère ainsi que la soulte n’avait qu’un but exclusivement fiscal, celui de permettre à la requérante d’appréhender des liquidités en franchise d’impôt par une application littérale des textes fiscaux.
Les arguments de la contribuable étaient les suivantes :
La soulte a été utilisée comme garantie de la valorisation de son apport car une incertitude demeurait sur la valorisation des titres apportés, notamment du fait de l’existence d’une filiale aux titres très volatiles. L’administration balaie cet argument en estimant que les parties sont réputées avoir procédé à une juste évaluation des titres lors de l’apport.
Le notaire luxembourgeois a exigé qu’une soulte soit stipulée en tant que garantie d’actif pour éviter que sa responsabilité solidaire soit engagée en cas de surévaluation des titres apportés. L’administration réfute cet argument car aucun élément factuel n’a été apporté pour démontrer ce point.
La soulte a été stipulée pour prémunir l’ensemble des parties de tout risque juridique et pénal en cas de problème d’évolution. L’administration conteste ce point, dès lors que l’associée était l’unique partie prenante à l’opération et qu’elle ne démontrait pas l’existence de ce fameux risque.
La soulte a été utilisée pour compenser la perte de liquidités suite à l’apport car il aurait fallu plusieurs années pour bénéficier de dividendes remontant des filiales. L’administration considère que cette perte de liquidité a été choisie par l’associée unique et que la réalité de cette perte n’est pas démontrée.
Ainsi, si l’article 150-0 B ter ne précise aucunement que la soulte doit poursuivre une finalité particulière même lorsqu’elle ne dépasse pas 10% de la valeur des titres reçus, il est nécessaire que le versement de la soulte poursuive un objectif de rééquilibrage de valeur entre les biens échangés ou permette d’ajuster une parité d’échange. La soulte doit rester un objet de facilitation de la restructuration d’entreprises et non pas un outil permettant d’appréhender des liquidités en franchise d’impôt.
Tribunal administratif de Paris, 3ème chambre, 11 juillet 2024, n°2207273