La transmission d’entreprise : un état des lieux européen

Au cours de la dernière discussion concernant la loi de finances pour 2023, le Pacte Dutreil a encore une fois déchaîné les passions. 

Alors que des propositions suggéraient son aménagement et la restriction de son champ d’application, il semble plus que jamais nécessaire de rappeler que la France perdrait beaucoup à aménager de manière défavorable un Pacte Dutreil d’application d’ores et déjà complexe. Nous vous proposons ici de faire un rapide tour d’horizon européen des règles existantes en matière de transmission d’entreprise chez nos plus proches voisins.

Cette modeste étude de droit comparé ne manquera pas de souligner la nécessité de protéger le mécanisme du Pacte Dutreil et de continuer à faciliter la transmission d’entreprise en France, permettant ainsi de rester compétitif face aux autres réglementations européennes, de maintenir les centres de décision en France en évitant que les entreprises ne tombent aux mains de repreneurs étrangers, tout en restant fidèle à l’esprit initial du législateur, qui entendait “favoriser la transmission d’entreprise dans des conditions permettant d’assurer la stabilité de l’actionnariat et la pérennité de l’entreprise” comme le rappelait d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans une décision en date du 28 décembre 2018.

Le Pacte Dutreil, tel qu’il existe aujourd’hui en France, a connu ses balbutiements juste avant les années 2000. L’exonération des 75% telle qu’on la connaît aujourd’hui est issue d’une réforme de 2005, augmentant le taux de 50% introduit par la loi du 1er août 2003.

Mais le Pacte Dutreil n’est pas un dispositif dont la France pourrait revendiquer la primauté car certains pays européens présentaient déjà, dès 1996, des dispositifs similaires, et bien avancés pour l’époque. L’état des lieux de la situation européenne actuelle permet également de constater que certains de nos voisins vont bien plus loin que nous dans la facilitation de la transmission des entreprises.

Nous développerons rapidement les règles relatives au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à l’Espagne, à l’Italie et à la Belgique.

1/ Le Royaume-Uni

Le Royaume-Uni permet aujourd’hui une exonération allant jusqu’à 100% appliquée sur les actifs de l’entreprise. Ce dispositif appelé “Business Relief”, permet d’alléger considérablement les droits dus en cas de donation ou de succession.

L’exonération de 100% est appliquée sur les transmissions d’actions de sociétés non cotées en bourse. L’exonération de 50% est appliquée sur les transmissions d’actions de sociétés cotées, mais également sur les terrains, bâtiments ou machines appartenant au défunt et utilisés dans une entreprise dans laquelle il était associé ou qu’il contrôlait. Cet abattement s’applique également dans le cas où les actifs sont détenus par le biais d’un trust.

L’exonération est soumise à plusieurs conditions, tout comme en droit français, puisque l’activité transmise ou les biens transmis doivent avoir été détenus depuis au moins deux ans par le défunt au moment de son décès.

De manière symétrique à la conception française, la transmission d’activité non opérationnelle (société se livrant à des investissements patrimoniaux) n’est pas éligible au dispositif. Le dispositif est également inapplicable aux organisations à but non lucratif.

Il est également prévu que le “Business Relief” ne puisse pas s’appliquer si la structure est ensuite vendue par les héritiers, sauf à ce que la vente se fasse au bénéfice d’une société qui continuera l’exploitation et que le prix de cession soit utilisé pour régler les droits de succession. Le dispositif ne peut également pas être utilisé si la structure transmise est en difficulté lors de la transmission.

2/ L’Allemagne

En Allemagne, les entreprises familiales représentent, selon les statistiques, environ 95% du total des entreprises. Il paraît donc logique que la transmission de ces structures ait été facilitée au sein des familles.

La législation allemande prévoit une première exonération, dite légale, de 85%, et une seconde, dite sur option, de 100% de l’assiette transmise.

De manière symétrique aux règles françaises, le régime de faveur est accessible aux héritiers sous certaines conditions. L’entreprise transmise ne doit pas détenir plus de 50% de patrimoine dit “administratif” dans le cas de l’exonération de droit commun, ce pourcentage étant ramené à 10% dans le cas de la seconde option. Cette conception n’est pas reprise en droit français. Le bénéficiaire doit également conserver l’entreprise pendant une certaine durée, de 5 ans en cas de bénéfice de l’exonération légale, de 7 ans en cas de bénéfice de l’exonération renforcée sur option.

Une réforme de la transmission d’entreprise est venue compléter le régime en nécessitant que le chef d’entreprise poursuive l’activité en garantissant aux employés des salaires constants et en prenant soin de maintenir une masse salariale dite “minimale” (déterminée sur la base de la masse salariale initiale) de 40%, dans le cas de l’exonération de droit commun. Dans le cas de l’exonération sur option, la masse salariale minimale doit atteindre 70% de la masse initiale.

Par ailleurs, il est important de noter que le régime de faveur allemand ne prévoit pas de condition relative à l’exercice d’une fonction de direction antérieure et postérieure à la transmission.

3/ L’Espagne

Afin de protéger la continuité des entreprises familiales, la loi espagnole accorde une réduction de 95% des droits en cas de transmission des entreprises familiales au conjoint, aux ascendants ou descendants. Le bénéfice de l’exonération est acquis également aux parents adoptifs, et parents collatéraux du défunt jusqu’au troisième degré.

Pour bénéficier d’un tel avantage, il faut remplir plusieurs conditions. La part du redevable dans la structure transmise doit être de 5% ou de 20% conjointement avec le groupe familial. Un membre du groupe familial doit également exercer des fonctions de direction et sa rémunération à ce titre doit représenter plus de 50% de ses revenus d’activité.

De manière identique aux règles françaises, la société transmise doit exercer une activité opérationnelle et ne pas être une simple structure holding. Par ailleurs, 50% de ses actifs doivent être destinés à l’exercice d’une activité économique.

Les bénéficiaires de la transmission doivent, quant à eux, conserver les actions pendant 10 ans (ce délai étant toutefois variable en fonction des règles applicables dans chaque Communauté espagnole autonome) ou réinvestir l’argent résultant de la cession des titres reçus lors de la transmission.

Il existe également un mécanisme applicable spécifiquement aux transmissions dites “inter vivos”, c’est-à -dire en cas de donations. La réduction est d’un montant équivalent à celle vue précédemment, soit 95%, mais n’est possible que si le donateur est âgé d’au moins 65 ans, ou atteint d’une invalidité permanente, grave et absolue. Le donateur doit également avoir exercé des fonctions de gestion, avoir cessé d’exercer et recevoir une rémunération pour l’exercice des fonctions lors de la donation. Le donataire devra également conserver les participations transmises pendant 10 ans.

4/ L’Italie

En Italie, les conjoints ou descendants qui héritent d’entreprises ou de branches d’entreprises (au sens donné à ce terme par la législation fiscale italienne) ne paient pas d’impôt sur les successions ou les donations. Toutefois, le transfert de la simple nue-propriété ne permet pas de bénéficier de cette exonération, seule la transmission de la pleine propriété est éligible au régime de faveur.

D’autres conditions sont rendues nécessaires pour bénéficier du régime. Les donataires ou légataires doivent acquérir ou intégrer le contrôle de la société suite à la transmission, conserver les actions acquises pendant au moins cinq ans et continuer l’exploitation de l’entreprise pendant cette même durée. Dans le cas où les parts transmises correspondent à une société de personnes, la condition tenant à l’acquisition du contrôle n’a pas à être remplie.

5/ La Belgique

En Belgique, deux mécanismes cohabitent. Le premier permet de faciliter la transmission de structures entrant dans la définition des PME. Le second concerne la transmission des entreprises familiales.

La transmission familiale bénéficie d’un taux réduit de droits de 3 à 7% sur les successions et permet une exonération totale en cas de donation. Ces mécanismes remplacent alors l’application du barème progressif applicable aux droits de succession et donation.

L’entreprise familiale doit répondre à plusieurs conditions. Elle doit exercer une activité opérationnelle et être exploitée par le défunt, le donateur ou son partenaire. La société familiale doit être gérée par trois familles au maximum et avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de l’Espace Economique Européen. Il est possible que la société transmise soit éligible au régime lorsqu’elle s’interpose entre la famille et la structure réalisant l’activité opérationnelle. De manière similaire à ce qui est prévu en France en matière d’interposition, le bénéfice du régime de faveur ne s’appliquera qu’à concurrence de la valeur de la participation de la société transmise dans la société opérationnelle.

Il est également important de noter que les différents pays évoqués précédemment ont également mis en place, de manière similaire à la France, des mécanismes de différé de paiement lorsque l’imposition due par les contribuables fait suite à des transmissions d’entreprise.

Les différents pays évoqués ci-avant prévoient tous des mécanismes plus favorables que notre Pacte Dutreil. Les différents formalismes requis paraissent également bien légers face aux deux engagements de conservation requis par le législateur français. Il est également intéressant de relever que la condition tenant aux fonctions de direction n’est majoritairement pas utilisée par les autres législations. La notion de holding animatrice tant débattue en droit interne n’est, a priori, pas non plus discutée.

Face aux législations qui nous font concurrence, il apparaît aujourd’hui plus que jamais important de souligner l’importance de sauvegarder notre régime du Pacte Dutreil.

Il conviendra également de rappeler à ceux qui resteraient insensibles aux positions adoptées par nos voisins que le coût budgétaire de cette “niche” fiscale reste bien modéré face aux intérêts économiques existants. La loi de finances pour 2019 chiffrait le coût à 500 millions d’euros, une broutille en comparaison du coût que pourrait représenter la perte de la richesse économique transmissible.

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