Loi de finances pour 2024 : Les mesures en matière de contentieux fiscal
Cher Entrepreneur, avec la loi de finances pour 2024 viennent de nouvelles mesures consacrées au contentieux fiscal, qui peut malheureusement te concerner. L’équipe Ceno te propose de découvrir les mesures qui ont retenues notre attention ci-après :
1) Instauration d’une peine complémentaire : Privation de droits à réduction et crédits d’impôt
Parmi les différentes mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2024, l’instauration d’une peine complémentaire de privation du droit à l’octroi de réductions ou de crédits d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière mérite d’être soulignée.
L’article 1741 du Code Général des Impôts a ainsi été modifié pour y ajouter deux alinéas précisant ce dispositif :
Les personnes susceptibles de se voir appliquer ces peines complémentaires sont celles ayant été reconnues coupables du délit de fraude fiscale avec circonstances aggravantes (listées dans le même article), du recel de ce même délit, ou de son blanchiment ;
Les privations ne peuvent être prononcées pour une durée supérieure à trois ans à compter de l’imposition des revenus de l’année suivant celle de la condamnation. Cela signifie donc que ce nouveau dispositif n’est pas rétroactif ;
L’application de la peine complémentaire n’est pas automatique : elle vient sanctionner une infraction commise avec une circonstance aggravante, et le juge doit donc la prononcer. Il pourra pour ce faire tenir compte de divers facteurs, tels que la circonstance des faits, la personnalité de l’auteur de l’infraction, et le passif de ce dernier en matière de sanction administrative ;
La peine complémentaire ne comprend pas les crédits d’impôts octroyés sur le fondement d’une convention fiscale internationale visant à éliminer les doubles impositions.
Ce dispositif n’est applicable qu’aux infractions commises à compter du 1er janvier 2024.
Commentaire de la mesure : Cette mesure vient renforcer le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale. De nouvelles sanctions peuvent donc s’appliquer aux personnes reconnues coupables de fraude fiscale aggravée en leur ôtant un droit au titre de leurs impositions futures.
2) Instauration du délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale
En poursuivant dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale, la loi de finances 2024 instaure un nouvel article 1744 du Code Général des Impôts qui crée un délit, autonome, de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale.
Ce délit se caractérise par :
La mise à disposition, par une personne physique ou morale, à titre gratuit ou onéreux, d’un ou de plusieurs moyens, services, actes ou instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers ;
Le but de cette mise à disposition est de permettre à un ou plusieurs tiers de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’ensemble des impôts prévus par le Code Général des Impôts ;
Cette disposition s’applique quelle que soit la nature des relations entre la personne qui met à disposition lesdits instruments de facilitation et le tiers qui a bénéficié de celle-ci.
L’article 1744 précité dresse par ailleurs la liste des différents moyens, services, actes ou instruments pouvant constituer ce délit :
L’ouverture de comptes ou la souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger ;
L’interposition de personnes physiques ou morales ou d’organismes, de fiducies ou d’institutions comparables établis à l’étranger ;
La fourniture d’une fausse identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification ;
La mise à disposition ou la justification d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;
La réalisation de toute manœuvre destinée à égarer l’Administration.
A noter : les quatre premiers types d’actes correspondent à certains de ceux visés à l’article 1741 vu au paragraphe ci-dessus et constituant des circonstances aggravantes justifiant une majoration et des peines complémentaires pour des personnes reconnues coupables fraude fiscale.
Ce délit, applicable à compter du 1er janvier 2024, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 250.000 euros d’amende, portés à 5 ans d’emprisonnement et 500.000 euros d’amende en cas d’utilisation d’un service de communication au public en ligne. Des peines complémentaires sont également encourues.
Si le délit est prévu par une personne morale : l’amende est égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques ci-dessus.
Commentaire de la mesure : Cette mesure s’inscrit également dans la mise en œuvre de moyens efficaces de lutte contre la fraude fiscale, en se concentrant ici sur les intermédiaires. Elle semble viser notamment les opérations de communication et de promotion qui peuvent être réalisés par ceux-ci sur des montages dont le but est d’échapper ou de se soustraire à l’impôt, et les responsabilise pénalement.
Des débats ont persisté au Sénat sur la notion d’intentionnalité, qui n’a finalement pas été insérée dans l’article, l’assemblée ayant considéré que, s’agissant d’une infraction pénale, ce critère était induit.
3) Extension des moyens d’enquête des agents de l’Administration : les enquêtes sous pseudonyme
A titre de rappel, dans un objectif de protection du justiciable, les dispositifs d’enquête des agents publics sont strictement encadrés. A ce titre, il leur est logiquement interdit d’inciter le justiciable à la commission d’un manquement ou d’une infraction. Si tel est le cas, la procédure sera nulle.
Il est donc intéressant de noter que la loi de finances pour 2024 étend les pouvoirs de contrôle des agents de l’Administration fiscale en leur donnant la possibilité d’enquêter sous pseudonyme. Les modalités de ce nouveau type d’enquête sont les suivantes :
Les agents de l’administration fiscale qui pourront y procéder sont ceux ayant au moins le grade de “contrôleur”. Ils devront également avoir été spécialement habilité à cet effet pour les besoins de la recherche ou de la constatation des manquements graves ;
Les manquements qui pourront faire l’objet de ce type d’enquête sont les suivants :
La dissimulation d’une activité occulte ;
Les manquements délibérés, les manœuvres frauduleuses et les abus de droit ;
La détention de comptes, contrats et actifs étrangers non déclarés ;
L’application des dispositions relatives à la présomption de revenus et à la taxation forfaitaire en fonction des éléments du train de vie, lorsque ces éléments sont tirés d’une activité illégale.
Les agents habilités auront désormais accès à une large palette d’enquête, et pourront notamment : prendre connaissance des informations publiquement accessibles ainsi que celles que l’on peut trouver sur les interfaces en ligne, procéder à des échanges électroniques avec les personnes sous enquête, ou encore extraire et conserver des données sur celles-ci.
Commentaire de la mesure : Nous pouvons constater une évolution drastique dans les pouvoirs d’enquête de l’Administration fiscale, bien que ces derniers seront réservés à des agents spécialement habilités et à certains manquement définis. Nous pourrons regretter à cet égard que ces prérogatives, dérogatoires de droit commun, ne soient pas limitées aux seuls manquements les plus graves.
Nous devrons néanmoins rester attentifs à la protection de la liberté des personnes, notamment au regard du respect du droit à la vie privée et familiale, protégé par la Constitution et par les conventions européennes.
4) Application d’intérêts moratoires en cas de dégrèvement d’office
Une bonne nouvelle est à noter dans la loi de finances 2024 en matière de dégrèvements d’office opérés par l’Administration fiscale.
Jusqu’à présent, en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat, aucun intérêt moratoire n’était appliqué sur les dégrèvements opérés à la seule initiative de l’Administration, y compris lorsque ceux-ci faisaient suite à une erreur imputable à celle-ci.
Désormais, le contribuable pourra bénéficier d’intérêts moratoires lorsque l’Administration prononce un dégrèvement visant à corriger une erreur qu’elle a commis dans l’établissement de l’assiette ou le calcul des impositions.
S’agissant des modalités d’application des intérêts moratoires dans ce cadre :
Ils seront appliqués automatiquement par l’Administration en cas d’erreur commise par celle-ci : il n’est donc plus nécessaire pour le contribuable d’en faire la demande par voie de réclamation contentieuse ou que l’Administration ne soit condamnée judiciairement ;
Ils s’appliqueront au taux en vigueur, soit actuellement 0,20% par mois de retard.
Ce dispositif s’appliquera à tous les dégrèvements concernés prononcés à compter du 1er janvier 2024.
Commentaire de la mesure : Cette mesure est bienvenue : il est tout à fait légitime que les dégrèvements prononcés d’office par l’Administration soient assortis d’intérêts moratoires sans qu’il ne soit besoin, pour le contribuable, de procéder à une réclamation ou d’obtenir une condamnation de l’Etat. Cela se justifie d’autant plus au regard du principe d’égalité devant l’impôt : tous les contribuables confrontés à une erreur de l’Administration doivent être traités de façon équitable.
Cette question des intérêts moratoires sera également à surveiller dans le futur : ce dispositif pourrait être étendu aux dégrèvements prononcés suite à une réclamation réalisée de manière irrégulière par le contribuable, ceux-ci étant considérés comme des dégrèvements d’office.
Cher Entrepreneur, tu peux aussi prendre attache avec nos équipes si tu as des interrogations sur ta situation.
Vous avez aimé ce contenu ?Téléchargez notre numéro pour l’emporter partout avec vous !